"Ces gens étranges" par son ami Michel
"Ces gens étranges"
Tout comme des enfants, ils sont redevenus
plus riches, simplement, de ce qu'ils ont vécu
Et si le poids des ans a laissé bien des traces
Leur esprit s'est figé et leur mémoire s'efface.
Ils ont dans leur aspect, quelque chose d'étrange
Un je ne sais trop quoi qui, parfois, nous dérange
et surtout ce grand vide dans leur regard éteint
Où se perdent nos cris d'amour ou de chagrin.
Prostrée sur une chaise, elle attend patiemment
Le retour espéré de sa chère maman
Dont elle est sans nouvelles et qui doit s'inquiéter
Mais qui, depuis longtemps, hélas, nous a quittés.
De sa propre famille, il n'a aucune image
Incapable de mettre un nom sur un visage
En dépit des efforts de ses proches, frustrés
De rester à ses yeux, à jamais, étrangers.
Blottie entre ses bras, elle berce sans fin
Une poupée fripée, aux couleurs passées
Qu'elle soulève parfois, avec le plus grand soin
Pour poser sur son front le plus doux des baisers.
Il n'a plus la prestance ni les bonnes manières
de cet homme brillant qu'il était, jusqu'à hier
La serviette posée sur son pyjama gris
Maculée des reliefs du repas qu'il a pris.
Sanglée dans son fauteuil, pour qu'elle ne tombe pas
Elle marmonne sans cesse en agitant les bras
Des mots incohérents où se mêle souvent
Le prénom familier d'un ami, d'un parent.
J'aime ces gens étranges qui ne savent tricher
Sans la moindre malice ni arrière-pensée
Vulnérables et perdus, sur le bord du chemin
Ils attendent celui qui leur prendra la main.
J'aime ces gens étranges car ils sont le miroir
Où chacun d'entre nous, sans fard, peut se voir
Dépouillés et tremblants, comme au tout premier jour
Sans aucune défense et en quête d'amour.
Michel Januel