Chapitre 3 : La paroisse, une structure en mouvement
1- La revendication paroissiale des
VILLETTES.
Au cours de la décennie 1840, l’esprit de localité et une demande d’ordre spirituel ont motivé les futurs Villettois à revendiquer l’érection de leur village en paroisse. Même si le bon sens poussait à admettre cette nécessité, la mairie redoutait trop la peur du démembrement de SAINTE SIGOLENE pour accéder à leur demande. Les autorités diocésaines et préfectorales trancheront en faveur des VILLETTES mais au départ, la réalité paroissiale s’avérait difficile à gérer.
A- «Il n’est de bon curé qu’à demeure».
Toute communauté tend à se territorialiser : c’est un des rôles de la religion de fixer et conserver les limites de la paroisse. En application du Concordat de 1801, une nouvelle carte paroissiale de France est dressée. La paroisse de Sainte Sigolène s’inscrit dans ce mouvement et est considérée le 28 messidor an XIII (1805) comme une des 149 succursales érigées dans le diocèse de Saint Flour. Le village des Villettes fait partie de la paroisse de Sainte Sigolène jusqu’au milieu de la décennie 1840 : à cette époque, il revendique son érection en paroisse.
Eloignée de 4 à 6 kilomètres du chef-lieu de SAINTE SIGOLENE, la communauté des Villettois s’estime autonome et réclame la présence d’un pasteur à demeure. La chapelle des Villettes, après travaux, tiendrait place d’église paroissiale et ainsi l’équation «une seule église, un seul troupeau, un seul pasteur» se réaliserait. L’accès plus aisé aux sacrements (notamment à celui de l’extrême-onction) et l’assistance à la messe fondent cette revendication.
A travers cette demande, l’esprit de clocher vient sanctifier le terroir pour mieux en consacrer les limites. Le 27 octobre 1846, la mairie répond au sous-préfet d’YSSINGEAUX qui invite le conseil municipal «à donner son consentement sur la création d’une nouvelle succursale au village des Villettes et la réunion des villages de Crossac, Huelles et Cublaises à cette future paroisse.» Si la paroisse de SAINTE SIGOLENE est largement amputée par ce projet, les communes limitrophes des Villettes sont aussi concernées. La paroisse de MONISTROL/LOIRE perdrait les hameaux de Trevas et La Chanale tandis que celle de GRAZAC devrait céder Vaugelas et Chevras.
L’érection d’une paroisse est une entreprise de longue haleine. La communauté en quête d’autonomie est souvent confrontée au «nationalisme intransigeant» des conseils municipaux, effrayés par le spectre du démembrement.
B- La peur du démembrement.
La paroisse du XIX ème siècle est un espace mesuré, limité et connu. Pour le conseil municipal de SAINTE SIGOLENE l’aspiration à l’autonomie du village des Villettes met en péril la paroisse, une et indivisible. Dans sa lutte pour conserver les limites «de la plus belle des paroisses du diocèse», la mairie s’appuie sur un allié inconditionnel, le curé.
En 1844, la municipalité exprime déjà ses craintes vis-à-vis de la récente érection d’une chapelle aux Villettes. Alors qu’ils débattent pour l’installation d’un troisième vicaire à SAINTE SIGOLENE, ils conviennent que cette libéralité «est accordée à condition expresse que cet ecclésiastique ne sera jamais employé à dire la messe à une prétendue chapelle qu’on dit érigée au lieu dit des Villettes...» Le curé MENUT s’engage à respecter la volonté de la mairie. Déjà, on sent poindre les querelles de clocher. Lorsque le village des Villettes fait ouvertement la demande d’être érigée en paroisse, la municipalité opte pour une ligne de conduite intransigeante.
En octobre 1846, elle réfute tous les arguments de la communauté villettoise : «le dit village est à une distance peu éloignée du chef-lieu de SAINTE SIGOLENE» et le chemin qui y conduit est plat et uniforme et n’est intercepté par aucune rivière ni ravin». Les hameaux qui constitueraient la future succursale «ne donnent leur consentement» et «protestent au contraire hautement contre cette novation, attendu qu’elle ne leur est d’aucune utilité et peut leur devenir excessivement onéreuse». Pour les garants de la cohésion villageoise, ce projet n’a d’autres fins que de servir les intérêts financiers d’un grand propriétaire des Villettes puisque «cette création donne une valeur presque double à des propriétés immenses qu’il possède dans le village». Le maire invoque également le refus de l’évêque du Puy qui n’aurait pas autorisé la chapelle s’il avait su que les habitants des Villettes projetaient de l’ériger en succursale. Mais c’est à la fin de la délibération que l’on perçoit la véritable raison de leur refus catégorique :
«Considérant que si sans motif aucun on autorisait cette création, bientôt on verrait les habitants de Malachelles, village important et le plus éloigné du chef-lieu de SAINTE SIGOLENE, se livrer aussi à la construction d’une chapelle, bercés du même espoir que ceux des Villettes, qu’alors se serait entièrement démembrer et rendre presque au néant le chef-lieu de la paroisse principale».
Confronté à la revendication paroissiale du village de la Séauve, le curé de SAINT DIDIER-LA SEAUVE développe le même schéma d’analyse que celui adopté 20 ans plus tôt par la municipalité de SAINTE SIGOLENE. Dans le Recueil de protestations des habitants de SAINT DIDIER-LA SEAUVE contre le projet d’érection en paroisse et en commune à La Séauve, présenté au mois de janvier 1869 au conseil de la Fabrique, le curé avance que ce projet ne serait qu’un «caprice ou une fantaisie intéressée d’un individu.» Cela impliquerait aussi «que le culte sera moins imposant, moins solennel. (...) Les confréries et les congrégations, si florissantes aujourd’hui, en s’amoindrissant perdront de leur ardeur, de leur puissance et de leur sève». Il ne serait pas étonnant que le curé de SAINTE SIGOLENE ait recouru au même plaidoyer en 1846, date de l’érection officielle des Villettes en succursale.
C- «Une seconde Bethléem».
Malgré l’insistant refus des mairies, l’érection des Villettes en succursale est approuvée par la préfecture et l’évêché le 17 décembre 1846. Le vicaire général Montgras écrit que «les conseils municipaux font de l’opposition ordinaire, sans motifs plausibles». L’esprit de clocher de MONISTROL, GRAZAC et SAINTE SIGOLENE a éloigné les municipalités «des intérêts religieux de ceux qui demandent l’érection». Le représentant de l’évêque argue que cette décision est indispensable «car les églises concernées sont devenues insuffisantes pour la population». Suivant un «état des édifices» l’église de Sainte Sigolène ne peut contenir tous les fidèles d’une population de 3168 habitants en 1846. D’ailleurs, il est intéressant de remarquer que la mairie plaide, en 1859, pour la reconstruction de l’édifice paroissial car celui-ci «n’est plus actuellement en rapport avec les besoins de la population».
L’abbé CELLE prend possession de la nouvelle succursale des VILLETTES le 25 mars 1852. En 1846, la préfecture plaidait pour les Villettes : «... l’église et le presbytère ne sont pas entièrement terminés mais il y a des fonds suffisants pour y pourvoir tout de suite». Pourtant, il semble qu’après avoir obtenu gain de cause, les habitants se démobilisent. Leur existence en tant que communauté paroissiale à part entière et l’assouvissement de l’esprit de clocher leur suffisent peut-être largement. Sur la première page du registre du Conseil de la Fabrique des VILLETTES, l’abbé Celle dresse l’inventaire des objets et du mobilier. Après avoir exposé le peu de mobilier mis à sa disposition, il évoque ses difficiles conditions de vie et lance un cri de désespoir au Ciel : «Tout dans l’église respirait l’indigence, la douleur et le désordre comme dans la paroisse et par-dessus tout une humidité qui causait des maladies graves aux habitants. Vierge Marie, venez à mon secours. Je suis dans une seconde Béthléem».
Les administrateurs de SAINTE SIGOLENE ont refusé de consentir à l’autonomie spirituelle des VILLETTES car ils étaient conscients que cette décision engendrerait une revendication municipale.
2- De l'émancipation paroissiale à la
revendication municipale
A- La fin d’une dépendance : pour une autonomie spirituelle et administrative.
Dans une lettre datée du 15 juin 1853, deux conseillers municipaux de SAINTE SIGOLENE, originaires d’un hameau des VILLETTES ( monsieur DELEAGE et monsieur GIRINON de Crossac) ainsi que le «curé» CELLE adressent une requête au préfet de la Haute-Loire. Ils sollicitent son appui pour opérer «leur séparation complète de SAINTE SIGOLENE et (....) faire (des VILLETTES), une commune distincte». Les habitants s’insurgent contre leur attachement administratif à SAINTE SIGOLENE qui les oblige, malgré un desservant qui est propre aux VILLETTES, de «concourir au traitement des vicaires». Les Villettois qui ont déjà participé à la translation du cimetière sigolénois, se voient mis à contribution pour le projet de la reconstruction de l’église :
«Considérant que les communes de MONISTROL et de SAINTE SIGOLENE ayant changé leur cimetière et en ayant construit de nouveau, une surimposition a été faite (....) ; les habitants des VILLETTES sont forcés de contribuer de leur part aux réparations locales de SAINTE SIGOLENE et de MONISTROL et que la commune de SAINTE SIGOLENE ayant le projet de construire son église, les habitants des VILLETTES auront à supporter une partie des frais sans jamais toucher un centime des trois communes dont la succursale a été formée».
Pour eux la naissance de la succursale n’a pas apporté l’indépendance espérée. Des problèmes se posent aussi pour l’accomplissement des formalités de l’état civil puisque «les habitants des VILLETTES sont obligés de faire leurs déclarations concernant les actes d’état civil aux trois communes (Monistrol, Sainte Sigolène et Grazac) et de faire une double dépense». En 1853, ils écrivent que ces formalités les poussent à affronter le rude climat altigérien et à «s’exposer souvent à de graves dangers pour aller faire leurs déclarations dans les trois susdites communes».
Le 11 juillet 1853, le sous-préfet d’YSSINGEAUX «croit que l’autorité supérieure doit écouter les vœux» d’une population animée «du meilleur esprit». De plus tous les éléments sont réunis pour que le territoire de la paroisse des VILLETTES devienne une commune.
B- Un souci d’efficacité pastorale et scolaire.
Pendant près de 5 ans, la requête de 1853 reste lettre morte. Un avis de la commission syndicale des VILLETTES , en 1858, relance le projet et les autorités administratives départementales relayent leur demande au préfet de la Haute-Loire.
Outre l’installation d’un officier public, la commission syndicale montre que l’érection en commune permettrait d’apporter des améliorations au niveau cultuel et scolaire. «Les habitants ont construit à leurs propres dépens leur église, leur presbytère et leur cimetière» mais «la chose publique est en souffrance». Les fonds n’ont pu être réunis pour construire le clocher et les villageois «ont été obligés de suspendre les cloches à deux arbres». Pourtant érigée en succursale en 1858, les VILLETTES n’ont toujours pas une église propre à la décence qu’impose le culte catholique. Etant un lieu de passage, le village semble être agité «surtout pour les jours de foires et de marchés». Cet «état de choses peut compromettre l’ordre public, la position civile des familles» mais aussi la morale chrétienne.
Les enfants de la paroisse, séparés par une distance de 4 à 6 kilomètre du chef-lieu, ne peuvent pas se rendre à l’école communale de SAINTE SIGOLENE et restent sans instruction scolaire. La lettre de 1853, se voulant alarmante, était d’ailleurs approuvée par «plus de la moitié des habitants illettrés de la paroisse des VILLETTES». L’érection en commune permettrait l’installation d’instituteurs et réglerait en partie le problème de l’illettrisme.
Le directeur des contributions directes montre en 1858 que plusieurs éléments interviennent en faveur d’une nouvelle commune. Il reconnaît que «depuis longtemps, l’autorité épiscopale a fait droit aux prétentions des habitants de cette section en l’érigeant en succursale». La paroisse des VILLETTES entraîne nécessairement la création d’une commune. Celle-ci aurait une superficie de 1137 hectares pour 802 habitants. Il reconnaît également que «les habitants du village auront le plus grand intérêt à voir réunies, dans le même lieu, mairie et église», deux cadres constitutifs de toute communauté villageoise avec l’école.
Une partie de la population cependant, attirée par le centre sigolénois, exprime les risques d’un isolement encore plus fort.
C- Le risque de l’isolement.
En 1853, le juge de paix de MONISTROL se déplace à SAINTE SIGOLENE «pour procéder à l’enquête sur la distraction des villages de Boudarel, Crossac, Huelles, Villettes, Blassac, Chasaugères, Cublaizes et Rochetons». La comparution des habitants de SAINTE SIGOLENE devant le juge de paix a pour objet de faire connaître aux autorités leurs avis quant à la création de la commune des VILLETTES.
Des cultivateurs de Crossac déclarent «s’opposer à l’érection en commune de la paroisse des VILLETTES» par crainte d’être séparés de leur centre économique et artisanal. Pour les habitants de Crossac le travail et la «fabrique» des rubans se situent à SAINTE SIGOLENE «où ils viennent chercher leurs provisions, apporter les rubans». Les intéressés déclarent vouloir continuer à envoyer «leurs enfants à l’école des Frères» puisqu’aux VILLETTES, aucune congrégation enseignante n’est implantée à cette époque.
En 1859, la rupture entre les deux paroisses semble consommée : aucun habitant des VILLETTES et des anciens hameaux sous la dépendance de SAINTE SIGOLENE, ne participe à la souscription lancée pour la reconstruction de l’église.
Même si certains villageois émettaient des réticences, la commune des VILLETTES voit enfin le jour à l’aube de la décennie 1860.
Après la Révolution, la paroisse continue d’être l’horizon quotidien des habitants. Les troubles révolutionnaires ont contribué à forger, chez les fidèles, un fort esprit communautaire.
Terre de permanence religieuse, SAINTE SIGOLENE s’engage à l’image de nombreux villages français dans un processus de mutations du paysage paroissial. Siècle de la modernité, le XIX ème est paradoxalement aussi le siècle des survivances.
Vecteur de la modernité comme d’un sentiment d’acceptation résignée face à la marche du siècle, le desservant reste le garant de l’unité paroissiale. Pour mener à bien sa mission pastorale, le curé s’entoure d’auxiliaires ecclésiastiques et laïcs. La «Fabrique» gère quant à elle le temporel de l’Eglise.