Histoire : Face aux lois scolaires après le début du XIX ème siècle
III- Face aux lois scolaires après
le début du XIX ème siècle
Après leur victoire définitive en 1879, les républicains s’emploient par une politique de laïcisation sans égale en Europe à faire reculer l’influence des curés dans la société. Leur politique vise aussi bien le clergé régulier et séculier que les congréganistes qui sont considérés comme des fidèles auxiliaires des prêtres.
A- Une concurrence consciente
entre enseignement
confessionnel et école laïque.
Dans un chapitre sur l’action scolaire, Auguste Rivet montre que la concurrence entre l’école confessionnelle et l’école laïque est prégnante dès la première moitié du XIX ème siècle. Dans le bulletin scolaire de 1838, l’inspecteur d’académie écrit qu’au moins dans l’arrondissement d’Yssingeaux, si « l’influence ecclésiastique n’est pas hostile absolument à l’établissement des écoles (...) elle repousse les candidats laïcs et fait une guerre sourde et incessante à ceux qui sont en fonction.». Alex de Lamer, nommé préfet de la Haute-Loire en janvier 1880, signale au ministre de l’Intérieur que dans le département « tout est à faire » au niveau de l’instruction. Il attribue le retard de la Haute-Loire à « la domination cléricale » qui avait fait de l’Instruction publique « l’objet particulier de ses convoitises et de son esprit d’envahissement ».
En 1881, la population de Sainte Sigolène apparaît méfiante vis à vis de l’installation d’écoles publiques dans la commune. Pour l’inspecteur primaire d’Yssingeaux, les réticences naissent aussi bien de l’attachement à l’enseignement congréganiste qu’à la stricte observance des prescriptions des curés :
« Ici, comme à Saint Maurice de Lignon, les familles se refusent à croire qu’une école laïque soit capable d’élever convenablement les jeunes gens. Le clergé, qui conduit les volontés à sa guise, le leur fait croire. Des considérations politiques et financières suggérées par les ennemis du gouverneur de la République, viennent encore rendre difficile à Sainte Sigolène l’établissement de maîtres laïcs. Beaucoup de parents sont résolus, à ne pas leur confier leurs enfants : on va même jusqu’à dire qu’ils n’auront aucun élève. »
Pour Alex de Lamer, le corps pastoral et les municipalités marchent de concert pour maintenir l’omniprésence d’un enseignement congréganiste : « Il serait difficile d’imaginer, de la part des communes rurales, une pareille résistance aux obligations légales, et, de la part du clergé ou des congrégations religieuses, un pareil encouragement à cette résistance même. » Malgré tout, deux écoles publiques laïques, de filles et de garçons, s’installent à Sainte Sigolène à la fin de la décennie de 1880. La mauvaise volonté des édiles locaux évoquée par le préfet est attestée à Sainte Sigolène. En 1890, l’inspecteur d’académie effectue un rapport sur les nombreux inconvénients que rencontre l’école publique de filles de Sainte Sigolène :
« La salle de classe située au premier étage, est entourée, à côté et au-dessus, de métiers à rubans qui font un bruit assourdissant pendant toute la journée, de sorte que la maîtresse a grande peine pour entendre les élèves et se faire entendre d’eux. (...) Il résulte que pendant que l’institutrice et les élèves s’étiolent dans cette petite chambre qui leur sert de classe, pendant que toutes sont incommodées par le bruit infernal des métiers et des rouets ; l’école rivale a un local spacieux et bien aménagé, où les enfants sont très bien du point de vue physique. Les parents ne l’ignorent pas et il leur faut beaucoup de bonne volonté pour envoyer leurs enfants à l’école publique. Il est certain que cette mauvaise installation est de nature à nuire au succès de l’école laïque et il serait urgent que monsieur le maire de Sainte Sigolène recherche un local plus convenable. »
Les efforts de la municipalité pour trouver un local propre à l’enseignement apparaissent plus que discutables. En 1815, l‘instituteur primaire, considérant que l’instruction laïque est lésée à Sainte Sigolène, se plaint à l’inspecteur d’académie que les deniers de la mairie se consacrent majoritairement aux écoles congréganistes :
« Monsieur l’Inspecteur d’Académie, le conseil municipal de Sainte Sigolène a porté au budget additionnel de 1894, un crédit de 100 F pour achat de prix aux écoles de la commune. Monsieur le maire a disposé du crédit comme suit : 35 F aux écoles communales, 65 F aux écoles libres congréganistes.
Le même conseil a aussi porté au même budget un crédit de 100 F aux achats de fournitures scolaires. Cette somme est répartie dans les mêmes proportions. Dans tous ces crédits, les écoles congréganistes en ont la plus large part. En outre le Bureau de bienfaisance dont la majorité des membres sont hostiles aux écoles laïques, ne donne jamais rien aux parents nécessiteux dont les enfants fréquentent nos écoles. Je vous prie donc monsieur de bien vouloir en informer immédiatement M. le Préfet (...) afin qu’il puisse empêcher le conseil municipal de subventionner les écoles congréganistes qui sont déjà soutenues».
En 1902, l’inspecteur d’académie de Clermont affirme que « les populations rurales de la Haute-Loire reconnaissent aujourd’hui assez aisément la supériorité de l’enseignement donné dans nos écoles publiques sur l’enseignement des béates et ne sont pas fâchées d’économiser les frais de pensionnat ou de caméristat (*) dans les écoles privées du chef-lieu de la commune. » En 1902, les écoles laïques de la commune enregistrent une sensible augmentation des effectifs. Le nombre de filles scolarisées dans l’établissement laïc est passé de 38 en 1896 à 62 en 1902. Espérant que ce mouvement s’accélère, l’inspecteur académique décide de « détacher provisoirement une adjointe à l’école publique de filles. » Cet élan est à relativiser : à la même date, les Sœurs de Saint Joseph accueillent plus de 280 élèves. De plus, comme il n’y a pas d’école maternelle publique dans la commune, l’école des filles « doit accueillir des enfants ayant moins de 10 ans ». Les institutrices laïques ne peuvent en aucun cas assurer les mêmes prestations que les Sœurs, ce qui explique que les établissements congréganistes soient largement plébiscités en ce début de siècle.
Si le maire et ses adjoints rechignent à dynamiser l’instruction laïque, le clergé paroissial forge une dialectique qui dépasse de loin le simple soutien à l’enseignement congréganiste. Depuis 1906, l’Echo paroissial poursuit une œuvre de condamnation de l’école publique ou « tel instituteur apprend aux enfants « Viens Poupoule ! » ou bien « l’Internationale » ou bien « Curés ». L’abbé Chabanis met en garde ses lecteurs « des écoles épouvantables où l’on prépare les briseurs de croix, les futurs incendiaires de l’église, les futurs sans-culottes (...) où l’on apprend à maudire Dieu et sa patrie. »
L’Echo paroissial reproduit dans son édition de 1907 le « discours d’un passementier de Sainte Sigolène. » Il appelle tous ses « camarades » ouvriers à placer leurs enfants dans les établissements congréganistes : « Je veux que ma fille aille chez les Sœurs. Je ne veux pas qu’elle aille dans les écoles sans patrie et sans Dieu. » Même si le curé et ses auxiliaires s’évertuent à trouver toutes les tares possibles et imaginables à l’enseignement laïc, les passementiers semblent confier plus facilement leurs enfants aux instituteurs et institutrices tant redoutés. Malgré tout, si l’on en croit les écrits de l’inspecteur d’académie en 1905, l’instituteur reste beaucoup trop isolé et impuissant dans les campagnes du département de la Haute-Loire :
«L’instituteur s’isole trop, se tient trop à l’écart, surtout dans les villages de la haute montagne où le maître passe pour un étranger au milieu des ses pères et mères de familles, indifférent et froid ; personne ne le salue. Il y a entre la population et lui, nul lien de sympathie ; le paysan hostile presque toujours – par éducation première – à l’enseignement public, à l’école laïque, reste méfiant (...). Il ignore l’œuvre de haute raison et de parfaite moralité dont l’instituteur poursuit la réalisation avec une patience si obstinée.»
Après cette vue d’ensemble, il s’agit maintenant de comprendre comment la mairie, le clergé paroissial et les congrégations sont parvenus à conserver la primauté de l’enseignement confessionnel à Sainte Sigolène jusqu’au début du XX ème siècle.
* caméristat : Dans certains pays où la population vit disséminée sur de vastes territoires, dans des hameaux ou des fermes isolées situés à de grandes distances du chef-lieu communal, beaucoup d'enfants se trouveraient, surtout dans la mauvaise saison, dans l'impossibilité de fréquenter les écoles si les instituteurs et institutrices ne pouvaient les loger. Les caméristats ont pour objet de remédier à cet inconvénient. Les maîtres peuvent, avec l'autorisation des autorités préfectorales et académiques, recevoir dans la maison d'école un certain nombre d'enfants qui y couchent et y prennent leurs repas. Ces sortes d'institutions sont encore très répandues dans le Puy-de-Dôme, surtout dans les régions montagneuses. Les municipalités y sont fort attachées, et les maîtres ne considèrent pas comme négligeables les petits bénéfices qu'ils tirent de leurs pensionnaires.
Suite du mémoire : La communisalisation des écoles privées et la laïcisation des congréganistes