Chapitre 2 : La question scolaire
- les Soeurs de St Joseph
- les Frères du Sacré-Coeur
- les béates
- création d'écoles mixtes publiques dans les villages.
LA QUESTION SCOLAIRE
Pendant le moyen-âge et sous l’Ancien-Régime, l’Eglise détient le monopole incontesté de l’enseignement. La promotion des congrégations assure la primauté de l’enseignement confessionnel pendant toute la période étudiée. A partir de 1880, le conflit scolaire est très ardent en Haute-Loire, où comme ailleurs, le clergé tente de s’assurer puis de conserver la haute main sur l’éducation de la jeunesse. Dans l’arrondissement d’Yssingeaux, les instituteurs affirment que la lutte est inégale entre l’enseignement laïc et confessionnel.
I- La primauté de
l’enseignement
confessionnel
Bien qu’il ne soit pas toujours judicieux d’attribuer l’implantation de congréganistes à la ferveur religieuse d’un territoire, Claude Langlois remarque un contraste saisissant entre deux arrondissements de la Haute-Loire : « (...) en Haute-Loire l’opposition est tranchée entre l’arrondissement d’Yssingeaux, bastion traditionnel de la droite et du cléricalisme, fort bien pourvu en Sœurs, et celui de Brioude, plus à gauche, religieusement plus tiède, avec une présence régulière plus clairsemée. »
A- Une priorité : instruire la
population
Avant la crise révolutionnaire, seule l’Eglise pouvait promouvoir l’instruction primaire : le curé, homme instruit était souvent le seul à pouvoir persuader les paysans de la nécessité d’envoyer les enfants à l’école. La Révolution française échoue dans sa rénovation du système scolaire, notamment à cause de la non-continuité des politiques mises en place. Par la loi du floréal an X, le Concordat remet aux communes la charge des écoles primaires : l’Empire conscient de son impuissance encourage les initiatives privées. Au début du XIX ème siècle, l’enseignement est loin de concerner tous les enfants.
En 1816, le recteur de l’académie de Clermont écrit au préfet de la Haute-Loire pour mettre en application un décret préparé par Ambroise Rendu, Georges Cuvier et le baron de Gérendon, destiné à « rasseoir partout l’instruction primaire sur des antiques bases. » Le recteur condamne fermement la politique scolaire menée sous la Révolution qui concevait l’école comme un service public, affranchi de la tutelle des Eglises. Il s’engage à délivrer des campagnes de « ces prétendus instituteurs », ces « docteurs d’anarchie et d’irréligion qui corrompent la jeunesse sous prétexte de l’instruire et qui trompent les pères sous prétexte de les conseiller, qui se mêlent de tout, conduisent tout, et en prolongeant nos agitations en préparaient de semblables pour l’avenir ». Le recteur de l’académie encourage les curés et les desservants à prendre part à cette œuvre de reconstruction de l’enseignement scolaire :
« ils (les ecclésiastiques) sont les gardiens de la morale, les surveillants naturels de l’enseignement. Si leurs saintes occupations leur permettent d’entrer en détail dans l’éducation, si elles leur laissaient le temps de suivre la jeunesse, (...) je n’aurais pas à accomplir la mission dont je suis chargée. »
Du fait de la législation au milieu du siècle, le curé conduit le personnel qui concourt à l’évangélisation et à l’instruction des paroissiens. En 1833, la loi de François Guizot, alors ministre de l’instruction publique jetait les bases de l’instruction populaire. Elle exigeait que chaque commune crée et entretienne au moins une école primaire. Elle réaffirmait les niveaux de compétence pour l’enseignement, énoncés par l’ordonnance royale de 1816 et interdisait l’ouverture d’une école sans un certificat officiel établissant que ce niveau de compétence existait. Mais jusqu’en 1830, l’enseignement primaire reste souvent inorganisé en Haute-Loire. Il faut attendre la décennie de 1840 et le plébiscite de l’enseignement confessionnel pour que la scolarisation touche le plus grand nombre. Le Second Empire, dans sa phase autoritaire, peut apparaître comme une période faste pour les curés et les congrégations. En 1850, la loi Falloux leur accorde une sorte de suzeraineté morale sur les instituteurs du public. Avec les lois Guizot (1883) et Falloux (1850), « l’école devient l’une des pièces maîtresses de l’évangélisation. »
B- Les Sœurs de St Joseph
Au lendemain de la crise révolutionnaire, les Sœurs de St Joseph ont 150 ans d’existence derrière elles. Un siècle et demi de vie active mais aussi de vie religieuse établie à partir d’une spiritualité spécifique. Cette spiritualité est l’œuvre d’un jésuite, Jean Pierre Médaille et d’un évêque, Henry de Maupas, alors évêque du Puy en Velay. Elle trouve son origine au milieu du XVII ème siècle, dans le sillage de la contre-réforme. L’évêque du Puy entretenait le projet d’instituer un groupement de femmes que la clôture n’empêcherait pas de se livrer à des œuvres de charité ; de son côté Jean Pierre Médaille avait réuni « plusieurs veuves et jeunes filles de piété » qui désiraient se consacrer au service de Dieu, mais qui, du fait de leur manque de biens, ne pouvaient entrer dans un monastère. L’année 1651 marque l’entrée officielle de la congrégation dans la vie de l’Eglise : le noviciat achevé, les vœux prononcés, une règle provisoire dirigeait l’activité des sœurs. Henry de Maupas approuve solennellement l’établissement de la congrégation des Filles de Saint Joseph. La propagation dans le diocèse des communautés de Saint Joseph obéit à plusieurs facteurs : existence de vocations, actions du curé de la paroisse, encouragement des paroissiens et soutiens municipaux. Dispersées par la Révolution, les communautés se reconstituent au début du XIX ème siècle autour de leur maison-mère du Puy en Velay.
D’après le décret de Messidor an XII (juin 1804) : « Aucune agrégation ou association d’hommes ou de femmes ne pourra se former, sous prétexte de religion, à moins qu’elle ait été autorisée par décret spécial, sur le vu des statuts et des règlements.»
Les statuts de la congrégation sont modifiés par deux fois au XIX ème siècle. En 1867, le principal motif de la demande d’une nouvelle autorisation est que les statuts de 1827 envisagent la congrégation essentiellement sous l’angle hospitalier : or, en 1867, l’œuvre scolaire prédomine sur les services hospitaliers. Pour s’en convaincre, il suffit d’analyser les sources de revenus de la congrégation. L’existence matérielle des établissements est liée en grande partie aux revenus offerts par la rétribution scolaire et par le paiement d’intérêts. En 1889, les recettes perçues par les sœurs de St Joseph s’élèvent à 48574,45F. La rétribution scolaire leur assure un apport financier de 23059,20F, soit près de la moitié du total des recettes. Les autres moyens d’existence « consistent dans le produit des pensions, du travail et des dots des sœurs ».
En 1818, la mairie « est d’avis que l’autorisation de cette communauté soit accordée » rappelant les bienfaits « immémoriaux » prodigués par les Sœurs :
« Elles enseignent aux enfants les premiers principes de religion (gratuitement pour les pauvres), tiennent l’école pour les filles qui commencent à lire et à écrire ."
En 1824, le sous-préfet d’Yssingeaux reconnaît que les congréganistes de St Joseph « sont toutes fort utiles et font beaucoup de bien à Sainte Sigolène. »
Les Sœurs de St Joseph tiennent un caméristat dans la commune. Le caméristat diffère du pensionnat dans sa nature même : les élèves pourvoient à la nourriture au moyen de provisions fournies par la famille cuisinées par les sœurs. Les sœurs offraient également le logement. Ce système permettait aux familles de baisser le prix de la pension de leurs enfants qui se limitaient ainsi à la seule préparation des repas et au logement. La somme mensuelle versée aux sœurs variait de 2 à 3 francs. Tout comme le pensionnat, le caméristat avait pour finalité d’empêcher la désertion de l’école par les enfants dont l’habitation se trouvait éloignée de l’établissement, isolement accentué par les rigueurs hivernales.
L’instruction dans les écoles de Sœurs de St Joseph a été essentiellement religieuse durant une bonne partie du siècle. Comme l’écrit Antoine Prost, pour les tenants de la position catholique, « la religion passe avant l’instruction ». L’éducation doit d’abord former de bons chrétiens et ensuite seulement, elle se soucie de les instruire. Les parties obligatoires du programme d’enseignement primaire édifié par la maison-mère met l’accent sur la primauté de l’instruction religieuse : prières, catéchisme et histoire sainte constituent les bases de l’enseignement. La Supérieure de la congrégation rappelle aux sœurs que les premières années d’un enfant sont les plus décisives pour l’éducation morale et religieuse : « le caractère impressionnable de l’enfant, sa naïveté d’esprit, la pureté et l’innocence de son cœur, tout le dispose à écouter la Parole de Dieu, (...) pourvu qu’on les lui communique de manière simple et à la portée de son âge. » Dans un rapport daté de 1855, l’inspecteur d’académie écrit que « l’instruction religieuse est sans contredit la plus soignée dans nos écoles : l’esprit des populations en ferait, à défaut des convictions, une obligation aux instituteurs. »
L’apprentissage du travail manuel était également au programme des jeunes filles et dans un pays de tissage comme l’Yssingelais, les sœurs initiaient leurs élèves aux rudiments de la passementerie. Michel Bresson, s’appuyant sur les archives de la maison-mère, montre que dans plusieurs écoles, est dénoncé le temps excessif consacré au travail de la dentelle ou du ruban, au détriment de l’instruction proprement dite. Un rapport de la Supérieure de la maison-mère du Puy en Velay l’atteste pour Sainte Sigolène : « C’est moins une école qu’un atelier de ruban. »
Si la vocation première des Sœurs de St Joseph était de délivrer aux filles de la paroisse les bases de l’instruction, elles emploient leurs ressources en 1878 pour ouvrir une salle d’asile à Sainte Sigolène. Une délibération municipale fait écho de la mobilisation des congréganistes pour créer un établissement destiné aux filles et garçons, âgés de 2 à 5 ans :
« (...) les religieuses se sont imposé les plus grands sacrifices pour la construction d’une salle d’asile longtemps réclamée par la population et (...) sont à bout de ressources pour l’achèvement d’une œuvre appelée à rendre tous les services à la classe ouvrière de notre localité. »
Malgré la mobilisation financière de l’Institut, il manque des fonds pour assurer le fonctionnement de la salle d’asile. Le conseil municipal, dont les deniers sont alors consacrés à la construction de l’église et à la réfection d’une « maison d’assemblée » prie le ministre de l’instruction publique « de bien vouloir s’intéresser à la création de cet établissement d’une incontestable utilité ». et « de récompenser ainsi le dévouement avec lequel cette communauté s’occupe de temps immémorial de l’instruction des petites filles. » Antoine Prost remarque que « les salles d’asile répondent à une nécessité évidente ». Cette institution tient beaucoup plus de la bienfaisance que de l’instruction. Dans un fief de la passementerie comme Sainte Sigolène, où hommes et femmes passent leur journée devant un métier à tisser, la salle d’asile fait office de garderie. Le conseil municipal, demandant en 1883 au préfet la reconnaissance officielle de la salle de maternité en profite pour rappeler que l’activité rubanière est la cause principale de la demande conjointe d'un asile pour enfants en bas âge :
« Dans la commune de Sainte Sigolène, il existe l’industrie du ruban qui occupe tous les membres d’une famille ayant un certain âge ; il serait urgent d’avoir une école où les enfants en bas âge, tout en recevant les premiers principes de l’instruction, soient en même temps sous la surveillance d’une personne qui remplacerait les soins souvent négligés dans leurs familles et laisserait aux parents des moments précieux pour le travail. »
A partir de cette date, les sœurs accueillent 20 à 40 enfants. Les gardant toute la journée, les religieuses leur inculquent quelques notions de prière et de catéchisme. Pour ce service, la communauté ne demande pas d’argent, mais accepte ce que les familles veulent bien leur donner : à Sainte Sigolène, l’usage est de donner 1F par mois et par enfant.
D’après les rapports effectués par l’inspection académique de Haute-Loire, les effectifs des établissements tenus par les Sœurs de St Joseph sont en continuelle augmentation durant tout le siècle. La croissance démographique, la reconnaissance des bienfaits de la scolarisation par les populations et la volonté de voir éduquer ses enfants selon les vertus chrétiennes expliquent le succès des congréganistes.
Années Nombre d’élèves à l’école élémentaire Nombre d’élèves à l’école
maternelle
1814 20
1819 35
1831 60
1883 40
1888 154
1891 220 80
1901 282 70
Pour répondre à l’accroissement du nombre d’élèves, la congrégation doit grossir ses rangs. En 1814, 4 sœurs et 2 novices sont chargées de l’éducation des jeunes filles. En 1831, l’inspection académique comptabilise 6 professes, 2 novices et une converse. A la fin du XIX ème siècle, le nombre de œurs de St Joseph s’élève à 17, ce qui illustre l’ancrage de la congrégation sur le sol sigolénois et l’échec de la politique de laïcisation menée depuis les années 1880.
L’enseignement des garçons est également pris en charge par une congrégation, en l’occurrence les Frères du Sacré-Cœur. (ce sera le sujet du prochain exposé).
C- Les Frères du Sacré-Cœur
La congrégation enseignante des Frères du Sacré-Cœur s’établit à Sainte Sigolène en 1842. Celle-ci a été fondée par le Père André Coindre, nommé vicaire en 1815 à la paroisse Saint Bruno, sur les hauteurs de La Croix Rousse à Lyon. C’est au cœur de l’œuvre du Pieux-Secours (1820) qu’il prêche à ses recrues réunies, la retraite préparatoire à la fondation des « Frères du Sacré-Cœur de Jésus et de Marie ». Le dimanche 30 novembre 1821 sont émis au sanctuaire de Fourvière les premiers vœux privés des dix premiers Frères du Sacré-Cœur dont cinq vont aussitôt se consacrer à l’animation du Pieux-Secours (atelier qui fait travailler des jeunes sur la colline des canuts).
Il ne faut pas confondre les Frères du Sacré-Cœur avec les Frères de l’Instruction Chrétienne de Ploërmel, fondés par Jean Marie de Lamenais (1780-1860), ni avec les Frères de l’Instruction Chrétienne dits de saint Gabriel, qui se rattachent à Louis-Marie Grignon de Montfort (1673-1716). En 1821, le vocable officiel et générique de l’institut est « Congrégation de l’Instruction Chrétienne » mais, en régie interne, les congréganistes sont appelés « Frères du Sacré-Cœur de Jésus et de Marie ». Il faut attendre 1900 pour que le vocable Frères du Sacré- Cœur soit admis communément.
En 1830, le conseil municipal de Sainte Sigolène avait été amené à délibérer « sur les moyens d’assurer aux jeunes gens et surtout à la classe indigente une instruction chrétienne qu’on ne pourrait négliger sans compromettre pour le présent et pour l’avenir leur bonheur et celui de l’Etat. » La mairie stipule que quelques notables avaient « proposé la maison Soulier pour y placer l’école des jeunes gens » mais le curé Menut fit une offre plus avantageuse : il céderait pour 1900 F. les jardins qui sont contigus au presbytère où la municipalité pourrait construire « une maison vaste et commode. » De plus, « les enfants auraient une grande allée pour la récréation (...) et pourraient aller à l’église sans sortir des rues du bourg. »
Il faudra pourtant attendre 1842 pour qu’une congrégation enseignante destinée aux garçons s’implante à Sainte Sigolène. Antoine Prost souligne que l’instruction apparaît pendant longtemps aux habitants des campagnes comme un luxe inutile, réservé aux citadins. Une liaison étroite entre le climat et les modes de production explique en grande partie les carences de la scolarisation. C’est en tout cas la conviction du préfet en 1834 :
« Dans ce pays où la production est très isolée et peu productive, elle exige beaucoup de temps et de bras et ne laisse point la faculté d’envoyer les enfants jouir du bienfait de l’instruction primaire pendant la belle saison. Ce ne serait donc que pendant l’hiver dont la durée est presque toujours de 5 à 6 mois, qu’il y aurait lieu de mettre à profit les leçons de l’instituteur, mais alors se présentent de grands obstacles, les neiges qui couvrent en abondance les localités (...) rendent les communications dangereuses. »
Le caractère saisonnier de l’enseignement n’assure « qu’une instruction précaire parce que sporadique, privilégiant les jeunes filles qui, dans les communes rurales, ont bien plus d’avantages que les jeunes gens à s’instruire. »
Le 21 novembre 1841, grâce au concours financier du baron Dugas du Villard et de trois grands propriétaires terriens, le curé Menut fait don à la mairie d’une maison avec cour, jardin et petit pré pour « établir une école primaire de garçons ». Sur l’avis de l’évêque du Puy, cet établissement sera dirigé par les Frères de l’Instruction Chrétienne, « corps religieux légalement autorisé qui a été désiré depuis longtemps par les habitants de la commune.»
D’après le conseil municipal, les Frères « offrent aux pères de famille toutes les garanties désirables, pour pouvoir leur confier sans craintes, l’instruction et l’éducation de leurs enfants. » Les fondateurs de l’établissement et la mairie définissent précisément la mission confiée aux Frères du Sacré-Cœur : « Les Frères seront chargés et obligés de donner aux garçons de la paroisse et aux pauvres l’instruction primaire et une éducation chrétienne en les formant aux vertus religieuses, domestiques et civiles .»
Le catéchisme est clairement affiché comme une priorité mais les autres connaissances comprises dans le programme de l’instruction primaire ne sont pas négligées : lecture, écriture, éléments de la grammaire française, chant calcul et système légal des poids et mesures, géométrie, histoire et géographie, ...
Scolarisation et connaissance du religieux « prescrit » vont de pair.
Lorsqu’une commune fait appel à une congrégation religieuse enseignante, elle doit pouvoir garantir aux Frères une existence convenable. Le traitement de chaque Frère peut varier de 400 à 500F selon le nombre de congréganistes et les ressources communales. Les parents aisés doivent couvrir une partie des frais de fonctionnement de l’établissement. Avant l’arrivée des Frères, le conseil municipal arrête la rétribution mensuelle « à exiger aux parents qui pourront payer : 3F pour la première classe, 1F50 pour la deuxième et 1F pour la plus basse classe. La liste des enfants qui ont droit à recevoir l’enseignement gratuit se porte à dix pour le chef-lieu et autant pour les autres villages. »
Le 15 novembre 1879, le conseil municipal demande l’autorisation au préfet d’ouvrir un pensionnat dans l’école des Frères. Plusieurs raisons sont avancées. L’éloignement des hameaux du bourg empêche « les enfants de fréquenter l’école pendant l’hiver, les chemins étant encombrés de neige. » Les élèves profiteraient mieux de l’enseignement prodigué par les congréganistes s’ils pouvaient « assister aux études du matin et du soir. » La création du pensionnat dans l’école publique de garçons permettrait aussi de répondre aux attentes « de parents de communes voisines (les Villettes et St Pal de Mons) liées à la commune de Sainte Sigolène à cause de l’industrie du rubans. » Au-delà de l’aspect pratique du pensionnat, cette demande montre qu’à la veille des lois de laïcisation, l’institut du Sacré-Cœur est fortement plébiscité par les populations en contact avec la commune de Sainte Sigolène. En 1901, neuf Frères du Sacré-Cœur sont installés dans la commune. Ils sont en charge de 340 élèves. La prospérité de l’établissement est donc analogue à celle des Sœurs de Saint Joseph.
Malgré l’importance croissante des effectifs des établissements congréganistes, l’accès de tous les enfants à la scolarité est entravé par l’éclatement de la paroisse en plusieurs hameaux. Pour résoudre le problème, le curé et les habitants font appel aux « Filles de l’instruction », aussi dénommées « béates ».
Vecteur puissant de la propagation de la Foi, elles contribuent à encrer la position dominante de l’Eglise dans le Velay.
Les Frères Marcel CELARIER et Joannès MOULIN sont toujours présents au collège en 2013.
II- Face à l’isolement des
hameaux : les Béates
A Sainte Sigolène, comme dans la majorité des paroisses vellaves, le réseau de l’instruction primaire était complété par les « maisons d’assemblée » tenues par les « béates ».
Bien qu’elles fussent officiellement supprimées en 1882, de nombreuses béates restaient en activité, et ceci, à la grande indignation des autorités départementales.
A- Implantation et fonctions originelles des
béates
Les écoles de hameaux illustrent le déséquilibre qui existe entre le réseau scolaire du bourg, tissé autour des congrégations et les campagnes où l’instruction recouvre des formes diverses. Si vers 1820 « les petites filles du chef-lieu trouvaient dans la communauté des Sœurs de St Joseph une éducation solidement chrétienne, (...) les enfants disséminés dans les nombreux hameaux de la paroisse étaient loin de jouir des mêmes avantages ». Pour résoudre ce problème, le curé Menut, s’appuyant sur la participation des villageois, fit construire des maisons d’assemblée dans neuf hameaux. En 1830, cinq maisons d’assemblée sont déjà installées dans les hameaux éloignés du chef-lieu où, selon la municipalité, « la jeunesse va prendre connaissance et l’amour de ses devoirs ». Les autres béates s’installent progressivement dans les villages de la paroisse des années 1840 au début de la décennie 1850.
En juillet 1902, un rapport bien documenté et clairvoyant de l’inspecteur académique de Haute-Loire retrace l’implantation des Filles de l’Instruction dans le département :
« Au milieu du XVII ème siècle, un prêtre de Saint Sulpice, M. Antoine Trouson, curé de la paroisse de St Georges et directeur du séminaire du Puy, frappé de la profonde ignorance des femmes et des filles de la classe inférieure, surtout en matière de religion, se proposa d’y remédier. Il rencontra une précieuse auxiliaire dans la personne de mademoiselle Anne Marie Martel, fille d’un avocat de la sénéchaussée du Puy. Vers 1665, celle-ci commence à réunir des femmes de l’hôpital d’Aiguilhe pour les instruire sur la religion. Encouragée par les résultats obtenus, elle réunit les jeunes filles de la paroisse. Ces réunions pieuses s’étendirent aux autres paroisses. C’est là l’origine des « Demoiselles de l’Instruction », institution plutôt laïque à l’origine mais qui sous la pression du clergé finit par se transformer en une congrégation ordinaire et devint la Congrégation de l’Instruction de l’Enfant Jésus ».
Selon l’inspecteur de l’académie de la Haute-Loire, la béate « est un produit naturel du sol, du climat, de l’industrie, des besoins des habitants » :
« La configuration du pays, ses divisions en communes parfois très étendues et subdivisées elles-mêmes en un grand nombre de hameaux (...), la difficulté des communications dans une région très accidentée (...) la pauvreté de la population, son assujettissement au clergé séculier et régulier, résultant d’ailleurs de l’ignorance des habitants, l’éloignement des grands centres et des principales voies de communication expliquent parfaitement comment a pu s’établir, se répandre et se fortifier cette singulière institution . »
Les béates ne sont pas des religieuses : elles ne proclament pas de vœux, ne vivent pas en communauté et ne sont pas affiliées à un tiers-ordre, n’étant pas astreintes à des pratiques de piété particulière. Les seules obligations des béates se résument en une sorte de stage à la maison-mère de l’Instruction et à la participation à des retraites dont les autorités publiques doutent de la régularité. Elles relèvent donc à la fois de la congrégation de l’Instruction de l’Enfant Jésus, du curé de la paroisse et au-delà, de l’évêque du Puy. Les habitants sont la plupart du temps à l’origine de l’implantation d’une béate dans leur hameau : ce sont eux qui lui fournissent le logement et qui la rétribuent en nature le plus souvent (nourriture, chauffage, ...). En mars 1841, André Sovignet, habitant du hameau du Pinet, achète une maison pour y « installer l’école des enfants du village. »
L’objectif originel des Demoiselles de l’Instruction était de former à destination des hameaux des sortes d’institutrices « dont la mission consisterait à apprendre à lire aux jeunes filles pour que celles-ci puissent étudier le catéchisme ». L’institution des béates n’a nullement en vue l’instruction proprement dite mais majoritairement l’instruction religieuse. L’inspecteur académique écrit que « le caractère d’institutrice était subordonné chez la béate à son caractère de catéchiste. » Si les Demoiselles de l’Instruction se consacraient à l’instruction des femmes et des filles des villes, les béates étaient vouées à marquer pendant plus de deux siècles et demi l’existences des campagnes altigériennes. Auxiliaires du curé de la paroisse dans les hameaux, elles « président aux prières et aux exercices de piété pour lesquels le prêtre n’est pas indispensable (vêpres, mois de St Joseph en mars, mois de Marie en mai, chemin de croix, ...) ».
L’histoire des béates est liée au développement dans le Velay de l’industrie de la dentelle dont St François Régis fut l’un des fervents propaganteurs. Ces pieuses filles se chargèrent de diffuser ce savoir-faire en réunissant dans des granges « des chambrées d’ouvrières en dentelle où le temps se passait en travail de broderie, à la lecture du catéchisme et de certains livres spéciaux de piété. »
Même si les fonctions des béates étaient précisément établies, elles furent amenées à enseigner la lecture et l’écriture aux jeunes campagnards. Au fil du temps, leur présence se fit de plus en plus forte et la maison d’assemblée devint un lieu de sociabilité incontournable des hameaux.
B- La maison d’assemblée : « le cercle du
hameau »
Au milieu du XIX ème siècle, le besoin général d’instruction élémentaire amena les béates à développer un rôle d’institutrice. « Recrutées uniquement dans les couches les plus basses de la population, amenées pour la plupart à prendre cette profession moins pour la vocation que par nécessité », il ne fallait pas s’attendre à trouver chez les béates un haut degré d’érudition. Le 25 novembre 1853, le préfet de la Haute-Loire constate que « lire et écrire tel est presque toujours le degré qu’elles possèdent et qu’elles communiquent aux enfants des campagnes ». L’inspecteur de l’académie écrit en 1902 que « l’enfant savait lire quand il connaissait par cœur les livres spéciaux en usage dans les maisons de béates : « L’alphabet chrétien », le « Cher enfant » ou « Conduite pour acquérir et conserver la piété chrétienne » ». Malgré tout, ces efforts pour essayer d’insuffler les rudiments de l’enseignement aux enfants démunis du village étaient louables sachant qu’elles n’avaient reçu aucune formation. En 1850, après la loi Falloux, les béates furent en faveur auprès des pouvoirs publics, mais si ceux-ci vantaient leur dévouement, ils reconnaissaient leur insuffisance au point de vue de l’enseignement. La maison d’assemblée est ainsi une salle d’école mais aussi « la chapelle, l’ouvroir, la garderie dans une certaine mesure et enfin le cercle du hameau ».
D’après le folkloriste Ulysse Rouchon, les béates prenaient une part active dans l’animation et le vécu du village :
« Institutrice, monitrice de dentelle, directrice des promenades, surveillante du dimanche, la béate était aussi sœur de la charité. Dans les courts moments que lui laissait sa principale fonction, elle visitait les malades, les assistait, exécutait ou faisait exécuter les prescriptions du médecin, demandait des secours pour les indigents, fermait les paupières des défunts ».
Si les cloches de l’église paroissiale rythment la vie des habitants du bourg, le petit clocheton de la maison d’assemblée cadence l’existence au hameau :
« Les béates (...) sonnent l’angélus, sonnent la cloche du matin pour appeler les enfants du village à la maison d’assemblée, à 10h pour prévenir les mères de famille qu’il est temps de préparer le repas de midi, à 11h30 pour prévenir qu’il est temps de porter le repas aux ouvriers qui travaillent aux champs, le soir enfin, pour la veillée qui se fait dans la maison d’assemblée et qui est consacrée au travail de la dentelle, à des chants, à des lectures pieuses et aux potins du jour. »
La sociabilité villageoise s’articule autour des maisons d’assemblée. Gilles Chareyron a montré que pendant la période révolutionnaire, les béates et les assemblées de dentellières constituaient « un puissant levier pour la propagation de l’idéologie anti-républicaine », particulièrement dans l’arrondissement d’Yssingeaux. Si les veillées organisées par les béates soulevaient la suspicion la plus complète des pouvoirs publics pendant la Révolution, les choses évoluent au cours du XIX ème siècle. Au début de la décennie 1850, le préfet de la Haute-Loire remarque que « l’influence des béates est salutaire pour la moralité publique », affirmant même que ces filles joueraient un rôle de régulateur social :
« Pendant les longues soirées d’hiver, elles réunissent les jeunes filles dans un local que l’on nomme assemblée, local qui se retrouve dans les moindres hameaux et qui, école le matin pour les enfants, devient aussi le soir un ouvroir. Les jeunes de l’autre sexe ne pénètrent pas dans ces veillées et cette séparation s’étend dans certaines localités jusqu’aux délassements et danses. Le nombre de naissances illégitimes est assez rare dans les campagnes et l’on peut dire qu’en général les mœurs sont d’une certaine sévérité ».
Les populations rurales affectionnaient la présence de cet acteur incontournable de la sociabilité au hameau. A partir de 1880, les béates furent l’objet d’une polémique récurrente entre les partisans de l’école laïque et les fervents supporters de l’école congréganiste.
C- Vers la disparition des béates
Si au XVII ème siècle , les pouvoirs publics pouvaient se contenter des services rendus par les béates ; à la fin du XIX ème siècle, les responsables de la politique scolaire en Haute-Loire insistent sur les carences des béates. Pour l’inspection académique, bien que les béates aient dans une certaine mesure concouru au recul de l’analphabétisme dans les campagnes, elles retardent indéniablement l’implantation des écoles publiques laïques :
« Sous prétexte que l’on avait des béates (...), on jugeait inutile d’établir en Haute-Loire l’enseignement laïc des filles qui s’organisait dans les autres départements. Les partis rétrogrades y trouvaient leur compte et vantaient en termes émus les services rendus par « ces pieuses filles » ».
A partir de 1880, le préfet lie la pénible marche vers la modernité du département à la présence des béates. En imprégnant profondément les mentalités populaires, elles contribueraient à faire de la Haute-Loire « le dernier repaire de l’esprit d’ignorance et de superstition. » L’inspecteur d’académie reprend cette réthorique en 1902 et juge que « les bénies de Dieu » inculquent aux habitants des hameaux une religion d’un autre âge :
« Elles (les béates) ont beaucoup contribué à propager et à maintenir chez les populations rurales des croyances absurdes, un fanatisme d’un autre âge. La religion telle qu’elles la conçoivent et l’enseignement n’a rien de commun avec la vraie religion. Elle consiste uniquement en pratiques extérieures toutes mécaniques, en prières récitées du bout des lèvres et dont toute pensée est absente. »
En 1879, les républicains édifient une véritable politique scolaire. Pour Jules Ferry, « l’instruction, qui est le premier des services publics, doit être tôt ou tard sécularisée comme l’ont été depuis 1789 et le gouvernement, et les institutions et les lois ». L’essentiel de l’œuvre républicaine est de constituer l’enseignement primaire en service public : la gratuité (loi du 16 juin 1881), l’obligation de laïcité (loi du 28 mars 1882) et enfin la loi Goblet (30 octobre 1186) qui ordonne la laïcisation du personnel enseignant sont les principales lignes de force de cette politique.
En 1880, monsieur Guerrier, inspecteur académique de la Haute-Loire essaie ‘de substituer sans secousse une situation légale à l’illégalité la plus flagrante ». Il propose au ministre de l’Intérieur de relever le niveau d’enseignement des béates et de régulariser leur situation. Un inspecteur général, monsieur Leyssenne est ainsi dépêché en Haute-Loire pour inciter les béates à faire une déclaration d’ouverture d’école libre et ainsi se mettre en règle avec la loi du 15 mars 1850. Celles qui n’étaient pas munies d’une lettre d’obédience (qui tient lieu de brevet de capacité aux institutrices appartenant à des congrégations religieuses vouées à l’enseignement et reconnues par l’Etat), devront immédiatement en être pourvue. Lors d’une visite de l’inspecteur d’académie à Sainte Sigolène en 1882, il est avéré que toutes les béates se sont conformées à ces prescriptions depuis novembre 1880. Ces béates ont fait une déclaration d’ouverture d’écoles libres. D’après la loi Falloux de 1850, pour exercer la profession d’instituteur primaire, public ou libre, il faut être âgé d’au moins 25 ans et être muni d’un brevet de capacité : en 1882, toutes les béates de Sainte Sigolène sont pourvues de la lettre d’obédience. Pour autant, l’aptitude des béates pour l’enseignement s’échelonne entre le « très faible » et « le passable ». L’inspecteur académique remarque que seule Eugénie Pascalon, béate du hameau des Taillas, est habilitée à préparer un examen, en l’occurrence le Certificat d’aptitude.
Le 18 février 1882, une circulaire ministérielle se propose de « ménager une transition entre situation confuse et irrégulière et une organisation légale et rationnelle (...), et de ne pas rompre sans ménagement (...) avec des habitudes regrettables mais séculaires. » Les béates ayant fait leur déclaration d’école et décroché leur certificat d’aptitude pourront être nommées « directrices publiques soit d’écoles de hameaux, soit d’écoles enfantines ou (...) maternelles » à la condition « de quitter le costume religieux et de prendre le vêtement des femmes du pays ». Si l’on se fie au rapport de 1902, les résultats de cette réglementation furent plus que mitigés. En 1883, sur les 718 béates exerçant en Haute-Loire, 568 étaient congréganistes et 150 laïques. Plus de la moitié des béates n’avaient pas fait la déclaration d’ouverture connue de l’autorité académique. Sachant qu’elles réunissaient plus de 10000 enfants, « quatre possédaient le brevet élémentaire », 83 le certificat restreint des écoles maternelles, alors que 61 seulement pouvaient être considérées comme aptes à l’enseignement».
En 1902, l’inspecteur d’académie remarque que « la situation est encore la même aujourd’hui. » Il analyse les résistances qui contribuent au maintien des béates dans les campagnes altigériennes, expose froidement l’échec de la laïcisation et entrevoit les solutions visant à amener « progressivement mais fatalement (...) la disparition des béates au grand avantage de l’Instruction populaire, du progrès des idées libérales et des institutions démocratiques. » Ne pouvant que difficilement affilier les béates à la congrégation des Demoiselles de l’Instruction, l’inspecteur préconise deux armes pour déraciner définitivement les béates du département de la Haute-Loire. Elles devront se borner à assurer l’instruction chrétienne et ne tenir « qu’une simple garderie de jeunes enfants au-dessous de l’âge scolaire ».
S’il s’avère qu’elles continuent une scolarisation, elles tomberont sous le coup de la loi du 30 octobre 1886 et l’affaire sera portée devant les tribunaux. L’inspecteur académique estime que l’enseignement est la source la plus rémunératrice pour ces « pieuses filles » : elles percevraient de 0,50 à 0,60 F. par mois et par enfant pour les cours de lecture, de 0,75 à 1F. pour une initiation à l’écriture et 1,25F. pour l’apprentissage du calcul. Les empêcher d’enseigner, c’est tarir la source de leurs revenus et ainsi accélérer leur disparition. L’autre moyen est de promouvoir la mise en place d’écoles laïques mixtes dans les hameaux, processus que nous analyserons bientôt.
L’organisation scolaire à Sainte Sigolène est typique de l’arrondissement d’Yssingeaux exposée par Claude Langlois : le bourg abrite trois congrégations enseignantes et hospitalières alors que la sociabilité de neuf hameaux s’articule autour des maisons d’assemblée.
L’ancrage de l’enseignement confessionnel et la présence des béates à Sainte Sigolène explique en grande partie la difficulté qu’auront les pouvoirs publics à introduire et pérenniser l’enseignement public et laïc.
III- Face aux lois scolaires après
le début du XIX ème siècle
Après leur victoire définitive en 1879, les républicains s’emploient par une politique de laïcisation sans égale en Europe à faire reculer l’influence des curés dans la société. Leur politique vise aussi bien le clergé régulier et séculier que les congréganistes qui sont considérés comme des fidèles auxiliaires des prêtres.
A- Une concurrence consciente entre enseignement confessionnel et école laïque.
Dans un chapitre sur l’action scolaire, Auguste Rivet montre que la concurrence entre l’école confessionnelle et l’école laïque est prégnante dès la première moitié du XIX ème siècle. Dans le bulletin scolaire de 1838, l’inspecteur d’académie écrit qu’au moins dans l’arrondissement d’Yssingeaux, si « l’influence ecclésiastique n’est pas hostile absolument à l’établissement des écoles (...) elle repousse les candidats laïcs et fait une guerre sourde et incessante à ceux qui sont en fonction.». Alex de Lamer, nommé préfet de la Haute-Loire en janvier 1880, signale au ministre de l’Intérieur que dans le département « tout est à faire » au niveau de l’instruction. Il attribue le retard de la Haute-Loire à « la domination cléricale » qui avait fait de l’Instruction publique « l’objet particulier de ses convoitises et de son esprit d’envahissement ».
En 1881, la population de Sainte Sigolène apparaît méfiante vis à vis de l’installation d’écoles publiques dans la commune. Pour l’inspecteur primaire d’Yssingeaux, les réticences naissent aussi bien de l’attachement à l’enseignement congréganiste qu’à la stricte observance des prescriptions des curés :
« Ici, comme à Saint Maurice de Lignon, les familles se refusent à croire qu’une école laïque soit capable d’élever convenablement les jeunes gens. Le clergé, qui conduit les volontés à sa guise, le leur fait croire. Des considérations politiques et financières suggérées par les ennemis du gouverneur de la République, viennent encore rendre difficile à Sainte Sigolène l’établissement de maîtres laïcs. Beaucoup de parents sont résolus, à ne pas leur confier leurs enfants : on va même jusqu’à dire qu’ils n’auront aucun élève. »
Pour Alex de Lamer, le corps pastoral et les municipalités marchent de concert pour maintenir l’omniprésence d’un enseignement congréganiste : « Il serait difficile d’imaginer, de la part des communes rurales, une pareille résistance aux obligations légales, et, de la part du clergé ou des congrégations religieuses, un pareil encouragement à cette résistance même. » Malgré tout, deux écoles publiques laïques, de filles et de garçons, s’installent à Sainte Sigolène à la fin de la décennie de 1880. La mauvaise volonté des édiles locaux évoquée par le préfet est attestée à Sainte Sigolène. En 1890, l’inspecteur d’académie effectue un rapport sur les nombreux inconvénients que rencontre l’école publique de filles de Sainte Sigolène :
« La salle de classe située au premier étage, est entourée, à côté et au-dessus, de métiers à rubans qui font un bruit assourdissant pendant toute la journée, de sorte que la maîtresse a grande peine pour entendre les élèves et se faire entendre d’eux. (...) Il résulte que pendant que l’institutrice et les élèves s’étiolent dans cette petite chambre qui leur sert de classe, pendant que toutes sont incommodées par le bruit infernal des métiers et des rouets ; l’école rivale a un local spacieux et bien aménagé, où les enfants sont très bien du point de vue physique. Les parents ne l’ignorent pas et il leur faut beaucoup de bonne volonté pour envoyer leurs enfants à l’école publique. Il est certain que cette mauvaise installation est de nature à nuire au succès de l’école laïque et il serait urgent que monsieur le maire de Sainte Sigolène recherche un local plus convenable. »
Les efforts de la municipalité pour trouver un local propre à l’enseignement apparaissent plus que discutables. En 1815, l‘instituteur primaire, considérant que l’instruction laïque est lésée à Sainte Sigolène, se plaint à l’inspecteur d’académie que les deniers de la mairie se consacrent majoritairement aux écoles congréganistes :
« Monsieur l’Inspecteur d’Académie, le conseil municipal de Sainte Sigolène a porté au budget additionnel de 1894, un crédit de 100 F pour achat de prix aux écoles de la commune. Monsieur le maire a disposé du crédit comme suit : 35 F aux écoles communales, 65 F aux écoles libres congréganistes.
Le même conseil a aussi porté au même budget un crédit de 100 F aux achats de fournitures scolaires. Cette somme est répartie dans les mêmes proportions. Dans tous ces crédits, les écoles congréganistes en ont la plus large part. En outre le Bureau de bienfaisance dont la majorité des membres sont hostiles aux écoles laïques, ne donne jamais rien aux parents nécessiteux dont les enfants fréquentent nos écoles. Je vous prie donc monsieur de bien vouloir en informer immédiatement M. le Préfet (...) afin qu’il puisse empêcher le conseil municipal de subventionner les écoles congréganistes qui sont déjà soutenues».
En 1902, l’inspecteur d’académie de Clermont affirme que « les populations rurales de la Haute-Loire reconnaissent aujourd’hui assez aisément la supériorité de l’enseignement donné dans nos écoles publiques sur l’enseignement des béates et ne sont pas fâchées d’économiser les frais de pensionnat ou de caméristat (*) dans les écoles privées du chef-lieu de la commune. » En 1902, les écoles laïques de la commune enregistrent une sensible augmentation des effectifs. Le nombre de filles scolarisées dans l’établissement laïc est passé de 38 en 1896 à 62 en 1902. Espérant que ce mouvement s’accélère, l’inspecteur académique décide de « détacher provisoirement une adjointe à l’école publique de filles. » Cet élan est à relativiser : à la même date, les Sœurs de Saint Joseph accueillent plus de 280 élèves. De plus, comme il n’y a pas d’école maternelle publique dans la commune, l’école des filles « doit accueillir des enfants ayant moins de 10 ans ». Les institutrices laïques ne peuvent en aucun cas assurer les mêmes prestations que les Sœurs, ce qui explique que les établissements congréganistes soient largement plébiscités en ce début de siècle.
Si le maire et ses adjoints rechignent à dynamiser l’instruction laïque, le clergé paroissial forge une dialectique qui dépasse de loin le simple soutien à l’enseignement congréganiste. Depuis 1906, l’Echo paroissial poursuit une œuvre de condamnation de l’école publique ou « tel instituteur apprend aux enfants « Viens Poupoule ! » ou bien « l’Internationale » ou bien « Curés ». L’abbé Chabanis met en garde ses lecteurs « des écoles épouvantables où l’on prépare les briseurs de croix, les futurs incendiaires de l’église, les futurs sans-culottes (...) où l’on apprend à maudire Dieu et sa patrie. »
L’Echo paroissial reproduit dans son édition de 1907 le « discours d’un passementier de Sainte Sigolène. » Il appelle tous ses « camarades » ouvriers à placer leurs enfants dans les établissements congréganistes : « Je veux que ma fille aille chez les Sœurs. Je ne veux pas qu’elle aille dans les écoles sans patrie et sans Dieu. » Même si le curé et ses auxiliaires s’évertuent à trouver toutes les tares possibles et imaginables à l’enseignement laïc, les passementiers semblent confier plus facilement leurs enfants aux instituteurs et institutrices tant redoutés. Malgré tout, si l’on en croit les écrits de l’inspecteur d’académie en 1905, l’instituteur reste beaucoup trop isolé et impuissant dans les campagnes du département de la Haute-Loire :
«L’instituteur s’isole trop, se tient trop à l’écart, surtout dans les villages de la haute montagne où le maître passe pour un étranger au milieu des ses pères et mères de familles, indifférent et froid ; personne ne le salue. Il y a entre la population et lui, nul lien de sympathie ; le paysan hostile presque toujours – par éducation première – à l’enseignement public, à l’école laïque, reste méfiant (...). Il ignore l’œuvre de haute raison et de parfaite moralité dont l’instituteur poursuit la réalisation avec une patience si obstinée.»
Après cette vue d’ensemble, il s’agit maintenant de comprendre comment la mairie, le clergé paroissial et les congrégations sont parvenus à conserver la primauté de l’enseignement confessionnel à Sainte Sigolène jusqu’au début du XX ème siècle.
* caméristat : Dans certains pays où la population vit disséminée sur de vastes territoires, dans des hameaux ou des fermes isolées situés à de grandes distances du chef-lieu communal, beaucoup d'enfants se trouveraient, surtout dans la mauvaise saison, dans l'impossibilité de fréquenter les écoles si les instituteurs et institutrices ne pouvaient les loger. Les caméristats ont pour objet de remédier à cet inconvénient. Les maîtres peuvent, avec l'autorisation des autorités préfectorales et académiques, recevoir dans la maison d'école un certain nombre d'enfants qui y couchent et y prennent leurs repas. Ces sortes d'institutions sont encore très répandues dans le Puy-de-Dôme, surtout dans les régions montagneuses. Les municipalités y sont fort attachées, et les maîtres ne considèrent pas comme négligeables les petits bénéfices qu'ils tirent de leurs pensionnaires.
Suite du mémoire : La communisalisation des écoles privées et la laïcisation des congréganistes